La Vierge du Rocher de Jonotla

par | 16 Avr 2022 | Aventure et écotourisme

Le guide nous avait assuré un week-end inoubliable à l’occasion de la fête traditionnelle consacrée à la Vierge du Rocher de Jonotla mais les détails pratiques nous manquaient. Il ne restait qu’à nous laisser conduire vers la Sierra Norte, quelque 170 kilomètres et trois heures de route depuis Puebla mais les derniers kilomètres creusés de nids de poule ont ralenti le rythme encore davantage, de quoi pouvoir apprécier au détour d’un virage la vue saisissante sur le village de Jonotla perché au sommet d’un éperon rocheux dominé par une église. 

Nous avons alors quitté la route pour passer sous une arche entièrement décorée de fleurs et de feuillages en forme de coquillages avant de grimper une rue pavée qui débouche sur le zocalo, le cœur du village. C’est à peine si on devine encore les maisons qui bordent la place envahie par des tréteaux chargés d’objets hétéroclites. Notre véhicule s’aventure ensuite dans la rue principale qui mène au Sanctuaire du Rocher en passant devant l’auberge de Don Porfirio. C’est ici que nous descendons, le temps de poser les bagages avant de partir à la découverte du village qui a revêtu ses habits de fête. Toute la rue pentue est enrubannée de fanions bleus aux couleurs de la Vierge et les premières échoppes sont en train de s’installer le long des habitations. La nuit tombe tôt au Mexique et peut-être encore plus tôt dans un décor de montagne. On se laisse happer par la frénésie qui occupe les habitants du village occupés à installer les trésors qu’ils vont proposer aux visiteurs dès le lendemain. Un peu surpris par cette ambiance qui s’annonce festive, on en vient à s’interroger sur le mystère de la Vierge du Rocher, prétexte à toute cette agitation.

Une apparition miraculeuse.

Tout a commencé dans la matinée du 22 octobre 1922 quand un gamin d’une douzaine d’années, Fidel Alejandro de Jesus Carreón, suivi de sa maman, ont emprunté le chemin rocailleux qui longe la falaise pour rejoindre le village de Jonotla et y vendre le lait des vaches qu’ils avaient traites le matin même. Soudain il entendit fredonner une musique sur les hauteurs et bien décidé à en découvrir l’origine mystérieuse, il escalada la falaise malgré les remontrances de sa mère. C’est alors qu’une pierre se décolla de la paroi pour s’écraser plus bas. Sur la falaise ainsi mise à nu, l’enfant découvrit, gravée à même la roche, une délicate représentation de la Vierge de Guadalupe, pas plus haute qu’une douzaine de centimètres mais ciselée avec finesse dans les moindres détails. Emerveillé il descendit et rejoignit sa mère à qui il raconta cette improbable apparition. Quand ils relatèrent ensuite l’événement sur le marché, plusieurs villageois vinrent vérifier l’effigie de la Vierge. Depuis lors, le lieu est devenu un site reconnu de pèlerinage qui culmine chaque année à la date anniversaire de l’apparition miraculeuse.

Miracle ou manipulation ? D’aucuns prétendent que cette image si parfaite dans le détail de sa gravure n’a pas pu être taillée, en une nuit de surcroît, sur une pierre aussi friable, de plus battue par le vent, le soleil, la pluie et le froid. Quoiqu’il en soit, ce miracle a entraîné de très nombreuses conversions à la foi chrétienne et des centaines de témoignages racontent les faveurs reçues par la Vierge en échange de vénérations et de pèlerinages. 

Un ancien sanctuaire amérindien.

L’éperon rocheux qui surplombe Jonotla était jadis un lieu de sacrifices et autres rituels adressés au dieu Tepeyolotli, « le cœur de la montagne », par les communautés totonaques qui occupaient la région dès le début de notre ère. Il fallut attendre 1180 pour qu’un indigène amérindien nahuatl du nom de Ixocelotl fonde le village actuel de Jonotla dont le nom évoque un arbre appelé jonote qui croît en quantité autour du site. Sa sève était reconnue pour ses qualités cicatrisantes, son écorce servait à tisser des cordes et des filets de pêche et son bois à construire des radeaux. 

Aujourd’hui un pont de singe d’une vingtaine de mètres joliment surnommé le « pont des deux cultures » a été tiré entre l’éperon rocheux et l’ancien sanctuaire. Une façon de ne pas gommer l’histoire améridienne du site malgré l’affluence que suscite l’effigie miraculeuse de la Vierge quelques mètres plus bas. L’escalade jusqu’au mirador est sans doute ardue, il faut grimper de très nombreuses marches mais quelle récompense au sommet ! On se sent bien petit devant la grandeur de la Sierra Madre qui abrite entre ses plis ce village multiculturel qui a conservé le respect de son environnement.

La population actuelle de Jonotla vit toujours de l’agriculture et de l’artisanat : des paniers en cordes de jonote et d’étranges figures élaborées à partir de racines d’arbres. Les communautés continuent à s’exprimer en nahuatl et les femmes restent fidèles à leurs costumes traditionnels : une blouse blanche brodée de fleurs colorées sur une jupe blanche recouverte d’un tablier coloré avec des cheveux tressés qui encadrent la tête. 

Elles sont partout et si nombreuses durant ces deux jours de fête. Quand elles ne se rendent pas à l’église pour déposer un bouquet de fleurs au pied de la Vierge, elles sont encore à deviser en petits groupes, sans doute sur l’animation du village ou alors elles s’installent au pied des stands pour y vendre quelques bijoux, des sacs de café, du maïs cuit ou encore des fleurs pour les pèlerins.

La feria de la Virgen del Peñón.

Quand nous avons poussé le nez hors de l’hôtel le matin du 21 octobre, nous ne reconnaissions plus la rue principale tant étaient nombreux les stands qui s’étaient installés durant la nuit devant toutes les façades des maisons, accrochant leurs grands dais de couleurs aux moindres aspérités. Les pèlerins commençaient à affluer, qui à pied, qui à vélo, qui à moto et qui à cheval. Toujours par groupe avec en tête du cortège un étendard aux couleurs de la Vierge affichant le nom du village d’origine des pèlerins. Vélos et motos arboraient tous des fleurs et n’hésitaient pas à klaxonner ou à pétarader le long de la montée vers le sanctuaire. Plus loin des bonimenteurs tâchaient de convaincre le public du bien-fondé des herbes médicinales et autres sirops ou onguents qu’ils vendaient pour soigner toutes les douleurs corporelles. Le boulanger du village avait travaillé toute la nuit pour préparer les pans dulces typiques de la fête à base de riz et de bananes ou encore de pâte à sucre parfumée à la noix de coco ou au cacao. En face de lui, un cheval soigneusement étrillé attend ceux qui rêvent de se faire photographier sur son dos par son propriétaire qui travaille avec d’antiques polaroïds. Très vite on comprend que la feria est aussi une occasion exceptionnelle pour la population locale de gagner sa vie dans la bonne humeur.

A notre tour on fera la file pour admirer et se recueillir un bref instant devant la Vierge dont l’effigie est si menue sur cette paroi rocheuse. Une église blanche et soulignée de vert s’est construite accrochée à la falaise et à l’occasion de la fête elle est entièrement décorée de couronnes de feuillages tissés en forme de coquillages arborant en leur centre des bouquets de fleurs. Durant deux jours le prêtre enchaîne les célébrations en l’honneur des corporations qui les financent : groupes de cavaliers ou de motards, population d’un village voisin venue à pied, des écoliers, un club sportif, etc. Quand on quitte l’église, une grande table a été dressée sur le parvis arrière, c’est là que les pèlerins reçoivent gratuitement de quoi se sustenter, une assiette de tacos arrosés de sauces épicées et un verre de jus. Les conversations s’enchaînent en attendant d’admirer les spectacles des danseurs du quetzal qui vont s’exécuter sur le parvis de l’église, répétant des gestes ancestraux lancinants en direction des dieux de la terre et des cieux. Plus tard ce seront les vachers bottés et chapeautés, le lasso enroulé autour du torse et le foulard rouge serré sous le sombrero qui entameront une longue danse rythmée par les tambours et les flûtes des bandas. Impossible de ne pas se laisser entraîner par cette forme de syncrétisme qui raconte la foi inébranlable des hommes face aux forces vives qui gèrent la nature environnante.

Partout la foule égrène le même mouvement de va-et-vient depuis le zocalo jusqu’au sanctuaire, achetant sur le chemin qui une image pieuse qui quelques fleurs ou encore un ballon pour les enfants. Des forains ont envahi la place devant l’église du village, proche du temple de St-Jean Baptiste du 16ème siècle dont le clocher est excentré à la mode des campaniles italiens. Un haut pilier de quelque 30 mètres de haut est dressé en face de la façade orangée de l’église. Elle accueille les voladores  qui vont effectuer à 2 ou 3 reprises durant les deux jours de fête la fameuse danse aérienne des « hommes-oiseaux », un antique rituel totonaque.

La nuit va s’éclairer de somptueux feux d’artifice pétaradants mais ceux-ci ne saluent pas la fin de la fête. Durant toute la nuit du 21 au 22 les pèlerins vont affluer bruyamment jusqu’au sanctuaire, se recueillir devant la Vierge, manger et boire, se reposer à même le sol là où c’est possible avant de repartir le lendemain après une célébration religieuse pleine de ferveur et quelques achats de souvenirs, en se promettant de revenir l’année prochaine !

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